La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée, par un arrêt du 13 mars 2024, sur le régime des avantages particuliers dans les SAS
Les avantages particuliers, bien que fréquemment utilisés dans la pratique, ne sont que très peu encadrés par le Code de commerce.
Dépourvus de définition légale, la doctrine les définit comme toute faveur de nature pécuniaire ou autre, attribuée à titre personnel à un actionnaire ou à un tiers, qui crée un droit sur la société, distinct de ceux détenus par les autres actionnaires.
Il en ressort que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour pouvoir retenir la qualification d’avantage particulier :
- l’avantage doit nécessairement créer une rupture d’égalité avec les autres actionnaires ;
- l’avantage doit être particulier, c’est-à-dire qu’il ne doit profiter qu’à une seule personne ou un groupe de personnes nommément identifiées.
Témoignant d’un grand intuitu personae, les avantages particuliers sont à distinguer des privilèges attribués à des titres, sans considération de la personne de leurs titulaires.
Afin de protéger les autres actionnaires, que ces avantages soient incorporés ou non dans l’action, une procédure similaire à celle réalisée en cas d’apport en nature doit être suivie (articles L225-8 et L225-12 du Code de commerce) supposant :
- l’intervention d’un commissaires aux apports chargés d’apprécier la valeur des avantages particuliers ;
- le vote d’une assemblée générale statuant sur l’octroi de ces avantages. L’assemblée statue aux conditions de quorum et de majorité prévus pour les assemblées générales extraordinaires (articles L225-9 et L225-12 du Code de commerce) et les bénéficiaires ne peuvent participer au vote sous peine de nullité de la décision (articles L225-10 et L225-12 du Code de commerce).
La loi 2019-744 du 19 juillet 2019 a supprimé l’obligation de suivre cette procédure en cas de stipulation d’avantages particuliers lors de la constitution d’une SAS. Cette procédure est néanmoins maintenue dans les hypothèses où les avantages particuliers sont octroyés lors d’une augmentation de capital ou d’une fusion.
La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est récemment prononcée sur le régime des avantages particuliers dans les SAS (Cass, com. 13 mars 2024 n°22-12.205).
Les faits de l’espèce sont relativement simples. Une SAS est constituée par un père et son fils en 2015. Selon l’article 7 des statuts de ladite société, le père s’est vu attribuer 2.225 actions de catégorie B et son fils 25 actions de catégorie A. Selon l’article 12 des mêmes statuts, les actions de catégorie A sont assorties d’un droit de vote multiple et les actions de catégorie B d’un droit de vote simple.
Le père vient à décéder et ses héritiers contestent cette répartition des droits de vote, effectuée sans que la procédure de vérification et d’approbation des avantages particuliers ait été respectée.
Cette affaire a amené la Cour de cassation à préciser les points suivants :
- Vérification obligatoire des avantages particuliers consentis avant le 21 juillet 2019.
Les règles applicables aux SA sont applicables aux SAS sauf exceptions limitativement énumérées à l’article L227-1 du Code de commerce. L’article L225-14 prévoyant la procédure des avantages particuliers lors des constitutions de SA, ne figurait pas avant la loi du 19 juillet 2019 au nombre de ces exceptions.
Ainsi, avant le 21 juillet 2019 (date d’entrée en vigueur de la loi), la procédure des avantages particuliers était bel et bien applicable aux SAS. Il en résulte que les avantages particuliers sont irréguliers s’ils ont été consentis avant cette date sans que cette procédure ne soit respectée.
> La Cour de cassation rappelle à juste titre que l’instauration des avantages particuliers constituait une situation définitivement réalisée avant l’entrée en vigueur de la loi, de sorte que cette dernière ne pouvait emporter régularisation du non-respect de la procédure.
- Calcul du plafond d’émission des actions sans droit de vote.
Pour rappel, dans les sociétés dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé, à l’instar des SAS, les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social (article L228-11 Code de commerce).
Les héritiers soutenaient que le droit de vote dérisoire assorties aux actions du père devait être assimilé à une absence de droit de vote.
> Rejet de cette thèse par la Cour de cassation qui fait une application à la lettre des dispositions du Code de commerce en rappelant que seules les actions totalement privées de droit de vote doivent être prises en compte pour le calcul du plafond de 50%. Cette précision vaut pour toute société par actions.
- Régularisation par une signature d’actes entre les associés valablement ordonnée par les juges.
Les héritiers reprochaient aux juges du fond d’avoir ordonné la régularisation de la procédure des avantages particuliers par la simple signature d’actes par l’intégralité des associés, au motif selon eux que seule la tenue d’une assemblée générale, sans participation du bénéficiaire, aurait pu couvrir ladite irrégularité.
La Cour de cassation exclut cette analyse en rappelant que les dispositions sur lesquels les héritiers se fondent ne sont applicables qu’aux SA constituées avec appel public à l’égagne ; or les SAS ne peuvent procéder à une offre de titres financiers au public.
En l’espèce, la régularisation consistait à l’annexion aux statuts de la société l’évaluation des avantages particuliers faite suivant un rapport en date du 15 février 2015 ainsi qu’à la mention de ce rapport dans les statuts